Voila 2 jours j'ai atterri a Istanbul...en laissant derrière moi l'Inde pour un court moment. Quel bonheur de retrouver Byzance, de la sentir.. Bien que son odeur est fade comparée a celle de l'Inde épicée de masala, d'urines et de brûlûres de déchets. Je ne me rappelais plus des poupées Barbies addict du shopping, des rues calmes de la banlieue stambouliotte, ni de Taksim et son de ambiance fiévreuse, de ces gitanes plus grosses que leurs étalages, les vendeurs de simit qui ne soucient pas du bon compte... J'avais et heureusement oublié l'odeur du pain rond et le goût du fromage entre deux bouchées de sucuk et de poivrons grillés...J'aimerais ne jamais pouvoir me passer de ce petit déjeuner copieux qui vous pèse aussitôt avec autant de regrets. Le café, le thé, ces petits pêchers sucrés, source de tant de culpabilité une fois devant le miroir. Autre chose que j'avais donc rangé dans une case, les enfants de mes frères, les pleurs de mes neveux et les chamailleries de mes nièces, les cris soprano stridents, mais aussi leurs chaires à croquer, la douceur de la peau de bébé, je peux désormais emporter plus de leurs images grâce au superbe appareil photo tombé du ciel de l'amitié.

Ah Istanbul...Puis il y a Didim, la belle Didyma déesse égéenne où j'ai passé la majorité de mes étés, de petite fille qui pleuraient derrière ses frères pour aller en discothèque, j'ai été l'ado qui prenait sa revanche, puis mi-adulte mi-ado je suis désormais le lave vaisselle officiel. Notre petite maison accueille toujours du monde, on s'en plaint, mais on n'aime pas le vide, ni le calme chez les Yavuz. A croire que chacun fuit ses bruits intérieurs. Depuis assez longtemps nous nous sommes donc réunis à nouveau toute la famille, et même moi j'y étais. Ma mère, mon beau-père, mes deux grands frères, mes deux belles-sœurs, mes deux nièces (9-7ans) et mes deux neveux (3-1 ans). Ce qui nous fait un total de 9 + moi = 10, si l'on compte également le fils unique du voisin qui viens jouer tous les jours sans exception, et les invités occasionnels, on atteint un total de 15 personnes en moyenne. Si sur 2 semaines, on calcule la moyenne pondérée du nombre de personnes passant devant la porte, les réparateurs, le vendeur d'eau, de gaz, pourquoi pas les fourmis, les moustiques, les mouches, on peut facilement atteindre des centaines. Mais on va se contenter du "petit" noyau.

La belle mer égéenne s'offre à nous tous les jours, plus souvent après 15h, le temps de tous s'organiser et décider qui part à pied, qui part en voiture. Chaque jour se répète un peu de la même façon. Les premiers se lèvent, soit mon plus jeune frère et sa femme car le bébé est un lève tôt, soit ma mère car elle va faire son sport matinal tous les jours à 9h. Suivis de mes nièces, puis mon autre belle soeur et mon grand frère, puis moi réveillée par les appels insistants de mes neveux et l'odeur des saucisses. Dès le matin (enfin après-midi) je me lève donc avec cette sensation de culpabilité, de ne pas avoir joué avec les enfants, de ne pas avoir préparé le petit déjeuner, de ne pas être allé au sport, de ne pas être une bonne tante, pas une bonne femme de maison, de ne pas vivre sainement...je ne suis donc pas très matinale, mais je tiens à dire pas non plus la dernière puisque mon beau-père se lève après moi.

Alors nous déjeunons, et là j'interviens, je me précipite pour au moins faire la vaisselle. Je me suis assignée la belle tâche l'été dernier par culpabilité. Mais il y a toujours une belle-sœur pour m'aider à rincer. Après mon passe-temps favori, il y a quelques minutes de glandouilles aussi, quand même...pause café+cigarette. Puis débute la bataille de l'organisation pour aller à la plage. Entre l'instant où l'on décide et l'instant où l'on agit, les heures défilent très rapidement. Après la plage, les soirs se répètent également avec quelques sorties, de nouveaux invités par ci par là pour changer la routine, mais au final tout est pareil.

Une autre variable constante de ma belle famille ce sont aussi les disputes, de plus en plus fortes, de plus en plus ancrées dans le temps, touchant le plus en plus de monde, chaque année. Oui toutes les familles connaissent ça, nous avons tous des squelettes dans nos placards, mais je ne peux m'empêcher de penser que tout pourrait être si simple pour des gens qui ne se réunissent qu'une fois par an. Pour pouvoir prendre cette situation à la légère je me suis donc inventé notre reality show, on a fait de l'audimat pour le coup, et on a tous fini par être méchamment éliminés. A cet instant l'Inde m'est apparue à nouveau comme un échappatoire, et ma colère m'a soufflé tant de bêtises, fait dire encore de ces mots auxquels on accorde trop d'importance. Je me rends donc, car je suis aussi coupable, si seulement la personne en question savait lire un blog.

Aujourd'hui devant mon écran, en Inde, je réalise que je ne me suis pas échappée, non, je suis prise au piège, à mon propre piège, perdue de plus belle et pessimiste qui plus est. Ça passera, comme tout passe. Mais l'Inde m'a tué.